Le parcours d’Alessandro Allori en tant qu’artiste est une histoire de résilience, d’innovation artistique et de compétence technique. L’histoire d’Allori ne concerne pas seulement le génie individuel, mais aussi le milieu culturel riche et complexe du Florence de la Renaissance, un creuset de talent et d’innovation artistique.

Né en 1535, Alessandro Allori fut orphelin à l’âge de cinq ans. Bronzino, qui était un ami proche de son père, prit le jeune Alessandro sous son aile, lui fournissant non seulement un foyer, mais aussi une éducation artistique qui allait façonner son avenir. Bronzino, qui considérait souvent Allori comme son neveu, le favorisait par-dessus tout. Lui-même disciple de Jacopo Pontormo, Bronzino était connu pour ses portraits élégants et ses œuvres religieuses qui combinaient un dessin précis avec une élégance et une stylisation quelque peu froide, caractéristiques du maniérisme. Sous sa direction minutieuse, Allori allait apprendre l’importance de la précision anatomique, une compétence qui deviendrait une marque de fabrique de ses propres œuvres.

Allori a ainsi imprégné le style de son mentor avec ses propres sensibilités. Il a développé un sens du relief dans ses peintures, caractérisé par une palette de couleurs émaillées qui dépeignait souvent une certaine froideur, et un éclairage inhabituel qui prêtait à ses œuvres une qualité presque surnaturelle. Pour honorer son mentor et père adoptif, Allori allait intégrer le nom de Bronzino dans sa propre signature, continuant la pratique même après la mort de son maître.

Signature / ©RES

Signature / ©RES

Les années 1580 ont constitué une période significative dans la carrière d’Allori. Il commença à superviser un grand atelier, témoignant de sa réputation grandissante. Cette période coïncidait avec le décès de Bronzino et de Giorgio Vasari, laissant Allori comme l’un des principaux acteurs de la scène artistique florentine. C’était également pendant les années 1580 que le motif du Christ mort devenait un thème récurrent dans l’œuvre d’Allori. Cela reflétait l’atmosphère religieuse et culturelle de la Contre-Réforme, une période marquée par une résurgence de l’art religieux visant à inspirer la dévotion et l’adhésion à la foi catholique. Dans ce contexte, la représentation du Christ et des figures religieuses par Allori prenait une profondeur émotionnelle et spirituelle.

Réflectographie infrarouge / ©RES

Réflectographie infrarouge / ©RES

L’une des œuvres notables d’Allori de cette période est la peinture exposée à Chantilly, qui représente un ange montrant à Saint François d’Assise le corps du Christ peu après sa déposition de la croix. Cette peinture est un exemple quintessentiel du talent d’Allori à combiner des détails complexes avec une expression émotionnelle profonde. La figure de Saint François, représentée dans un état de connexion extatique avec le divin, est une puissante représentation de la ferveur spirituelle qui caractérisait la Contre-Réforme.

Dans cette peinture, la représentation anatomique du Christ est particulièrement remarquable. La profonde compréhension de l’anatomie d’Allori, aiguisée sous la tutelle de Bronzino, est évidente dans la représentation vivante de la figure du Christ. L’attention aux détails est encore exemplifiée dans la broderie complexe du coussin de velours, qui ajoute une riche texture à la composition.

Relevés / ©RES

Relevés / ©RES

L’utilisation de la réflectographie infrarouge a fourni des informations fascinantes sur le processus de l’artiste, révélant la présence d’un dessin préparatoire détaillé sous la peinture, exécuté à main levée avec du charbon de bois. Cette couche préparatoire montre des repentirs significatifs dans la composition, en particulier dans le positionnement et les détails du visage, des bras et des jambes du Christ.

De plus, l’analyse infrarouge a mis en lumière des modifications dans les ailes de l’ange et dans les mains de Saint François, suggérant une vision créative dynamique et évolutive. La signature d’Allori a également été révélée, ajoutant une autre couche de compréhension à cette œuvre remarquable.

Le travail d’Allori, en particulier dans la dernière partie de sa carrière, reflète un engagement profond avec les changements religieux et culturels de son temps, alliant l’excellence technique à une résonance émotionnelle et spirituelle profonde. Son langage visuel unique, caractérisé par une précision anatomique et une utilisation frappante, presque éthérée de la lumière et de la couleur, le marque comme une figure significative dans la transition du maniérisme au début du baroque.

Les aperçus obtenus grâce à la réflectographie infrarouge ne font pas seulement avancer notre compréhension du processus créatif d’Allori, mais illustrent également la nature évolutive de la création artistique, où chaque couche de peinture et chaque ligne modifiée racontent une histoire de décision et de révision. L’héritage d’Alessandro Allori ne réside pas seulement dans ses œuvres d’art mais aussi dans son approche de l’art en tant que pratique dynamique et évolutive. Ses contributions à la scène artistique florentine, sa capacité à s’adapter et à se développer au sein du milieu artistique rapidement changeant de la Renaissance tardive, ainsi que son influence sur les générations suivantes d’artistes cimentent sa place en tant que figure pivotale dans l’histoire de l’art.

D’après l’image infrarouge fausses couleurs (IRFC) de la couche picturale, nous pouvons supposer que le ciel et le drapé sont peints au lapis-lazuli (apparaissant en rose sur le cliché IRFC).

L’assise sur lequel le christ est allongé et les détails du drapé bleu semblent contenir une laque rouge d’origine naturelle (pigment qui apparait en orangé sur l’image IRFC). On retrouve également des terres, du blanc de plomb, des laques vertes. La palette est relativement restreinte mais les couleurs sont appliquées plutôt pures comme c’est le cas pour le lapis-lazuli.

Réflectographie infrarouge fausse couleur / ©RES

Réflectographie infrarouge fausse couleur / ©RES

Alessandro Allori, Un Ange montre à saint François d’Assise le Christ détaché de la croix, 1583, huile sur toile, Château de Chantilly – Musée Condé.

La Pagode d’Argent, également connue sous le nom de Wat Preah Keo ou « Temple du Bouddha d’émeraude », est un édifice aux ornements impressionnants situé à l’intérieur du Palais Royal de Phnom Penh. Construite à l’origine en bois en 1892 sous le règne du roi Norodom, elle a été reconstruite, dans son état actuel, en 1962. Elle se trouve à l’intérieur d’un grand complexe fermé, entourée d’une galerie peinte sur les quatre côtés, avec un dais dominant au sommet et un toit en pente, formant un cloître.

Les peintures murales de la galerie de la Pagode d’Argent date du 1902-1903. Elles ont été exécutées par le peintre et architecte Oknha Tep Nimit Thak, assisté du peintre Vichitre Chea et de 40 étudiants, rendant ainsi très difficile l’attribution correcte des différentes parties de la galerie.

Oknha Tep Nimit Mak était le peintre et maître-bâtisseur du Palais à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Nous devons, à ce maître et à son atelier, les peintures des grands monastères de cette période : le sanctuaire et le cloître du Wat Prah Keo Morokot, le Wat Phnom Delmayed, le Wat Phnom Del dans la province de Kompong Cham et le Vat Sisowath Ratanaram dans le sud de la province de Kandal.

La cour intérieure, entourée de galeries, a la forme d’un rectangle de 150 mètres sur 170 mètres, les peintures murales occupent toute la surface des murs qui mesurent 3,5 mètres de haut et 604 mètres de long, faisant d’elles les plus grandes peintures murales de l’Asie du Sud-Est. Commençant sur le mur oriental, près de la porte d’entrée, et procédant dans le sens des aiguilles d’une montre (pradaksimâ), 192 scènes représentant le Reamker, la version khmère de l’épopée classique indienne Rāmāyaṇa, dépeignent la bataille entre l’armée de Preah Ram (Rama) pour sauver sa femme Neang Seda enlevée par Krong Rab (Ravana).

Dans cette enceinte d’art traditionnel, on peut voir se dérouler toute l’histoire de Rama, depuis le moment où Preah Ram, accompagné de Preah Laks, va parfaire son savoir auprès de l’ascète Visvamitr jusqu’au moment où Preah Ram et Neang Seda se réconcilient et reçoivent la visite de Preah Bhirut et Sutrut. Presque tous les épisodes les plus importants sont représentés :

  • L’épreuve de l’arc dans la maison du roi Janak
  • Preah Ram et Neang Seda à Ayodhya – Départ d’Ayodhya – Exil – Affrontement avec Kukhan et Munis
  • Mutilation de Neang Surpanakhar, sœur de Rab – Bataille avec Krong Khar – La gazelle d’or – L’Enlèvement de Seda
  • Batailles avec les alliés de Rab – Bataille de Kumbhakar – Bataille de Indrajit – Bataille de Rab
  • Victoire de Preah Ram – Consécration de Bibhek – Épreuve du feu de Seda
  • Retour à Ayodhya – couronnement de Preah Ram
  • Portrait de Rab – Condamnation de Seda – Son exil
  • Ramlaks et Jupalaks – l’épreuve du cheval
  • Preah Ram, Neang Sera et les deux enfants – leur rencontre
  • Preah Ram et l’ordalie de l’urne funéraire. Seda chez les Nagas
  • Guerre des enfants et neveux de Rab
  • Réconciliation des héros

Aucun cadre, division ou bande ne sépare les scènes. Les transitions entre deux épisodes se font de manière élégante, plus élaborée, par un bosquet, un groupe de rochers ou, simplement, par l’attitude des personnages qui dirigent leur attention vers des éléments spécifiques de la scène.

Excepté pour quelques flashbacks, l’histoire se déroule dans l’ordre chronologique avec des inscriptions courtes en Khmer décrivant l’action.

Les peintures, très précieuses, témoignent de la pérennité du sens artistique du peuple khmer. Elles représentent une iconographie particulièrement riche, préservant une vie khmère très vivante avec des célébrations religieuses et royales, ainsi que des scènes de vie populaire, dans une atmosphère onirique et poétique.

Pour la première fois dans leur histoire, les peintures murales de la Pagode d’Argent ont été minutieusement étudiées à travers la réalisation de plusieurs analyses non-invasives, notamment la réflectographie infrarouge (RIR), acquise avec la caméra Osiris de Opus Intruments, qui nous a permis d’observer la genèse de l’œuvre ainsi que les couches sous-jacentes.

En règle générale et à cette époque (début du XXe siècle), les artistes Cambodgiens s’expriment par un dessin essentiellement linéaire : pour représenter et signifier. Sur les murs d’enceinte de la Pagode d’Argent, et comme c’est le cas au Cambodge à cette époque, la technique exclut toute représentation en perspective ou l’utilisation de trompe l’œil. Le dessin est linéaire, les lignes et les courbes sont claires et définies. Il y a également une absence de perspective : l’écriture est simple et se veut aussi exacte et fidèle que possible au texte du Ramkear.

Comme évoqué précédemment, Oknha Tep Nimit Mak est un des artistes ayant travaillé sur la Pagode d’Argent. On sait également qu’il a réalisé des dessins de statues, de motifs décoratifs, de personnages mythologiques, de costumes… En 1923, Geroge Groslier rassemble 76 dessins de Oknha Tep Nimit Mak ; bien que la position des figures et certains détails diffèrent, les similitudes entre les représentations sont évidentes et semblent provenir de la même idée.

Nous pouvons donc supposer que les artistes utilisaient un modèle ou un carton et réalisaient des dessins préparatoires avant leur exécution finale : les lignes sont dures et précises et le dessin n’est pas très hésitant. Même si la composition suit largement le dessin préparatoire, dans la phase peinte les artistes ont apporté quelques légers changements.

Le dessin sous-jacent de la Pagode d’Argent est effectivement très riche et témoigne de la vision et du processus créatif de l’artiste au moment de la réalisation de la peinture. La réflectographie a ainsi révélé certains ajustements de la composition effectués par l’artiste au cours de son exécution.

La partie la plus repeinte (mur est) a subi le plus de modifications et de changements : l’architecture, les décorations et les personnages ont été simplifiés ; les lignes sont moins délicates, certains personnages sont repositionnés et de nouveaux personnages ont été réalisés. Cela nous indique qu’un nouveau groupe d’artistes a travaillé sur cette partie du mur après l’achèvement du projet ou après les dommages que la peinture originale a pu subir.

Lumière directe et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

Sur toute la composition, nous observons :

  • Nombreuses modifications de la composition de l’architecture ;
  • Suppression de certains personnages : certains personnages ou groupe de personnages disparaissent dans la phase peinte, surtout sur la partie repeinte où les modifications sont les plus évidentes ;

Lumière directe et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

  • Légers déplacements, surtout pour les personnages et les animaux : ajustement de la position des figures – position des pieds, des bras, détails architecturaux, etc ;

Lumière directe et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

  • Mise au carreau : pour placer les groupes de personnages (souvent des duos) ;

Lumière directe et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

  • Traçage de lignes pour les inscriptions.

Lumière directe et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

La réflectographie nous a aussi permis de déterminer le dessin manquant sur les zones très endommagées de la fresque. En effet, certaines parties ont été altérées par le temps, l’environnement, les changements météorologiques et les dégradations volontaires des visiteurs. La réflectographie permet donc de mieux comprendre les scènes représentées.

Lumière directe et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

L’artiste a utilisé une technique mixte : la plupart des lignes sont réalisées à l’aide d’une matière sèche, elles sont fortes et précises ; mais certains éléments comme la végétation, les pierres, les rivières/mers semblent avoir été réalisés avec une matière plus fluide.

L’analyse fausse couleur, traditionnellement réalisée à l’aide d’un film de couleur avec une sensibilité étendue dans la zone proche de l’infrarouge, est aujourd’hui plus facilement réalisée grâce à des techniques numériques utilisant un appareil photo moderne. L’avantage réside dans la vitesse d’acquisition de l’analyse infrarouge en fausse couleur et, en outre, la sensibilité du proche infrarouge pour les détecteurs en silice s’étend à de plus grandes longueurs d’onde par rapport au film couleur.

On peut trouver un exemple sur le mur est dans une scène de bataille entre Rama et Krong Rab (scène 118) pour laquelle la réflectographie infrarouge fausse couleur a révélé une zone affectée par d’anciennes restaurations. Nous pouvons en particulier identifier la présence de malachite superposée à la couche originale d’outremer qui représentait le ciel.

Ce qui, sur la photographie en lumière directe, nous apparaît comme une couche compacte de bleu vif, en fausse couleur se différencie deux couches superposées qui peuvent être parfaitement différenciées l’une de l’autre par les réponses caractéristiques des deux pigments différents.

Lumière directe et réflectographie infrarouge fausse couleur / ©RES

Il peut être également utile d’identifier les pigments qui se sont détériorés avec le temps. Sur le mur nord, la scène dans laquelle Asakan rassemble ses troupes contre Rama (scène 132), la zone dans le temple a une réponse rouge en fausse couleur alors qu’il apparaît marron foncé en lumière directe.

Les pigments bleus ont la caractéristique d’avoir une réponse rouge en fausse couleur, et l’émail est un pigment sujet à une telle dégradation. Il est scientifiquement reconnu comme ayant tendance à se dégrader en s’assombrissant vers des tons gris-bruns.

Les pigments récurrents sur les quatre murs, identifiés en fausse couleur et confirmés ensuite par des échantillons, sont : l’outremer, l’ocre rouge, l’orpiment et la malachite.

Lumière directe et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

Née à Rome et formée dans l’atelier de son père Orazio Gentileschi, Artemisia a été dès son jeune âge fortement influencée par Caravage et par le mouvement baroque. Elle est connue pour ses œuvres réalistes et expressives, ainsi que pour sa préférence pour les représentations féminines et religieuses, telles que Marie Madeleine, Judith, Esther, etc.

Dans cette œuvre, l’artiste représente un épisode de l’Évangile selon Jean : à midi, Jésus, assoiffé et fatigué par son voyage à travers la Samarie, trouve repos près du puits de Jacob, non loin de la ville de Sychar. Il engage alors une conversation avec une femme samaritaine venue puiser de l’eau du puits, lui offrant une « eau vive » qui a le pouvoir de désaltérer quiconque la boit.

Le Christ et la Samaritaine sont représentés assis au bord du puits, en pleine conversation. La femme prête une attention particulière aux paroles prononcées par Jésus. Les arbres et l’architecture encadrent la scène, tandis qu’un ciel chargé de lourds nuages englobe la ville au loin, d’où un groupe d’hommes, probablement les disciples, fait sa sortie. Il s’agit de l‘une des rares œuvres d’Artemisia Gentileschi présentant un paysage complet.

Les éléments habituellement représentés dans cette scène sont présents : le puits, la cruche, la corde. Les couleurs vives des vêtements des personnages et le paysage détaillé ont été associés aux œuvres que l’artiste a réalisées lors de son séjour à Naples.

D’ailleurs dans une lettre écrite de Naples le 24 novembre 1637 et adressée à son mécène le secrétaire pontifical Cassiano dal Pozzo, Artemisia décrit l’une de ses peintures représentant « la Femme de Samarie avec le Christ et les douze apôtres dans un paysage lointain ».

Une campagne d’investigations scientifiques non invasives, menée par RES, a permis d’approfondir l’analyse de la technique d’exécution de ce tableau.

Les images obtenues en réflectographie infrarouge n’ont pas révélé la présence d’un dessin préparatoire de nature charbonneuse réalisé avant la phase peinte. Cependant, nous ne pouvons pas définitivement exclure la présence d’un dessin, qui pourrait avoir été réalisé à la craie, à la sanguine ou avec d’autres techniques dites « transparentes » à l’infrarouge.

Réflectographie infrarouge / ©RES

En revanche, ces images nous ont permis d’identifier certaines modifications et ajustements de la composition effectués par l’artiste au cours de l’exécution de l’œuvre.

La lecture de l’image suppose que :

  • L’artiste a légèrement repositionné la main gauche du Christ et le bras gauche de la Samaritaine ;

Détails en lumière directe (gauche) et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

  • Les drapés du manteau du Christ ont subi quelques modifications ;
  • Dans le feuillage de l’arbre en haut à gauche, on peut observer un anneau suspendu. En lumière directe, l’anneau est présent mais difficilement discernable ;

Détail en lumière ultraviolette (gauche) et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

  • Enfin, le visage de la Samaritaine a subi plusieurs changements : initialement, son visage semblait davantage de profil et plus grand ; ses yeux avaient une position différente, suggérant une tête moins anguleuse. On peut distinguer un repentir sur son front : ses cheveux tombent plus bas sur son visage.

Détail en réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

Certaines parties du tableau nous apparaissent plus transparentes ; cela est dû à une altération liée au vieillissement de la peinture à l’huile. Cette transparence permet d’observer, dans certains cas, l’ordre chronologique dans lequel l’artiste a exécuté certains éléments du tableau.

Les contours architecturaux, notamment du puits, sont visibles en transparence comme sur la manche droite du Christ : selon toute vraisemblance, le manteau du Chris a été peint après la mise en place du puits.

Détails en lumière directe (gauche) et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

Cette altération est également présente sur le côté gauche du tableau, à la hauteur du muret de pierres et de briques : un arbre a été placé par l’artiste après avoir dessiné et peint le mur. Les briques sont visibles avec une plus grande transparence sur la photographie en lumière directe et sur la réflectographie infrarouge.

Détails en lumière directe (gauche) et réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

L’analyse de l’imagerie infrarouge a également conduit à une autre hypothèse : sur le puits, entre le Christ et la Samaritaine, dans la manche droite du Christ, ainsi que dans la couronne de l’arbre, des déchirures semblent traverser la toile. La première pourrait être une ancienne couture, probablement retravaillée par l’artiste elle-même.

Détails en lumière directe (gauche), réflectographie infrarouge (centre) et lumière ultraviolette (droite) / ©RES

Des lacunes dans la couche de peinture sont visibles sur la réflectographie, avec une ligne de joint apparaissant en blanc. Les lacunes auraient été repeintes (fissures visibles sur la photographie en lumière rasante) et revernies en profondeur (visible sur la photographie en ultraviolet).

Détail en lumière directe et réflectographie infrarouge / ©RES

Sur l’image ultraviolette, une campagne de retouches assez récente (traces bleues foncées) est observable sur les bordures du tableau, mais également au niveau du puits, du petit mur de gauche et des personnages.

Lumière ultraviolette / ©RES

Cartographie des deux campagnes de repeints / ©RES

L’examen de la réflectographie infrarouge fausse couleur suggère l’utilisation de certains pigments, par exemple : le vermillon pour le manteau du Christ et pour le ruban des cheveux de la Samaritaine ; le drapé bleu de Jésus semble correspondre à l’azurite, tandis qu’un jaune de Naples ou orpiment a probablement été utilisé pour la robe de la Samaritaine.

Réflectographie infrarouge fausse couleur / ©RES

Artemisia Gentileschi, Le Christ et la Samaritaine au puits, 1637, huile sur toile, Palazzo Blu – Pise.

Fille d’une époque éclairée par la Renaissance et marquée par des contrastes politiques et religieux, Artemisia Gentileschi grandit dans une atmosphère créative, se soumettant, par l’intermédiaire de son père Orazio, à la fascinante discipline de la peinture, arrivant à concevoir sa propre technique, tout aussi sublime.

Disposant d’une grande quantité de matériel pour s’essayer et perfectionnant son talent naturel, Artemisia est façonnée par l’œuvre du Caravage ; une influence que son père avait déjà assimilée, ayant lui-même établi des relations avec le maître Michelangelo Merisi, dont, dit-on, il achetait souvent des bases pour ses propres compositions.

C’est ainsi que sa fille a développé un style particulier, entre l’abstraction rêveuse et le réalisme pragmatique, sans pour autant manquer de contexte historico-artistique, étant donné la prédilection d’Orazio pour l’attention aux mouvements artistiques contemporains. Œuvres toujours narratives et denses, les tableaux d’Artemisia Gentileschi représentent des épisodes de la mythologie grecque, les récits bibliques de David et Bethsabée, Loth, Lucrèce, ainsi que le thème répété de Judith.

Marie-Madeleine était un sujet très apprécié des artistes et du public, car elle représente le modèle idéal de la recherche de la vertu et du renoncement aux plaisirs du monde. La protagoniste est représentée en pied, enveloppée dans une robe jaune/dorée, couvrant généreusement ses genoux, mise en valeur par les couleurs contrastées de la tunique ainsi que par le pied rugueux aux ongles sales qui dépasse de la robe, faisant d’elle le point focal du regard du spectateur. Assise dans un moment de méditation et de prière, les joues rougies, Madeleine tourne son visage vers sa gauche, au moment de sa transition : au premier plan, un crâne repose sur un livre posé sur une surface rocheuse, symbolisant le renoncement à une vie de péchés.

On note des similitudes frappantes avec la Madeleine en Extase du Caravage, dans la position et le modelage des mains, ainsi que dans l’apparition de la croix dans la partie supérieure gauche de la toile. La scène se déroule sur une sorte de formation rocheuse, tandis que de douces vagues caressent la mer en arrière-plan. La couche picturale est exécutée sur une préparation homogène et relativement épaisse de couleur rouge-brun, particulièrement visible sur la partie supérieure droite de la toile en raison des transparences accrues dues au vieillissement du film polymère. Dans cette même zone, une figure, qui à l’origine ne faisait pas partie de la peinture finale mais plutôt d’une autre composition antérieure, apparaît comme une vision fantomatique.

Lumière directe après (gauche) et avant (droite) restauration / ©RES

Ce phénomène, couplé à une réflectographie infrarouge réalisée à l’aide de notre caméra Apollo, a confirmé la présence d’une ou plusieurs autres compositions antérieures à celle actuellement visible : retournée, la toile révèle ce qui pourrait être un Saint Jérôme, assis, tenant un livre ou un autre objet, entouré de végétation. Sur la partie inférieure, quelques annotations faites par l’artiste et quelques actes de vandalisme.

Réflectographie infrarouge avec et sans relevés / ©RES

Réflectographie infrarouge et détail / ©RES

Artemisia a manifestement réutilisé cette toile, comme le faisaient de nombreux artistes de l’époque, pour économiser sur le coût des matériaux.

Lumière ultraviolette (gauche) et réflectographie infrarouge fausse couleur (droite) / ©RES

Artemisia Gentileschi, Madeleine Pénitente, huile sur toile, collection particulière.

Ce tableau de Raymond Quinsac Monvoisin, issu des collections du Musée des Beaux-Arts d’Orléans, représente le roi Henri II d’Angleterre avec sa maîtresse préférée, Rosamund Clifford.

La réflectographie infrarouge, réalisée avec notre caméra Apollo, révèle un tracé très détaillé de l’ensemble de la composition, ainsi qu’un quadrillage suggérant une étude préliminaire minutieuse.

Réflectographie infrarouge / ©RES

Exécuté à la pointe sèche, un dessin de construction en perspective de l’architecture et de la structure des tuiles est clairement visible au premier plan. Certaines lignes révèlent l’utilisation d’un compas, d’une règle ou d’une équerre, tandis que d’autres sont exécutées à main levée à la manière d’une esquisse avec des traces de « ratures ».

Relevés du dessin sous-jacent (gauche) et du quadrillage (droite) / ©RES

Les contours des personnages sont esquissés avec des lignes nerveuses et discontinues, tandis que les traits des visages semblent avoir été réalisés au pinceau, à l’aide d’une matière fluide.

Plusieurs repentirs sont visibles, avec des modifications significatives apportées à la scène en arrière-plan. La composition était initialement fermée sur la droite par un personnage observant la scène. Le premier emplacement du corps et de la tête, cachés derrière une balustrade et une colonne avec un chapiteau, est clairement visible. L’artiste a ensuite placé un autre personnage à l’arrière-plan, dans une vue de trois quarts et une position plus centrale. Les architectures ont été disposées différemment et remplacées dans la phase peinte par un grand rideau vert.

Détails de la réflectographie infrarouge / ©RES

Il convient également de noter que les décorations sur les coussins à gauche du tableau n’étaient pas encore prévues au stade du dessin sous-jacent, tandis que d’autres motifs ornementaux (comme sur le dossier du banc) ont été spécifiés en détail. Des changements mineurs sont également visibles dans l’orientation de la main et des pieds gauches d’Henry, ainsi que de la main droite de Rosamund.

À partir de l’image infrarouge en fausse couleur (IRFC) de la couche picturale, nous pouvons supposer la présence de certains pigments : la cape bleue portée par Rosamund est faite d’azurite naturelle et de blanc de plomb, en violet sur l’image IRFC. La cape d’Henry est faite d’azurite également, probablement additionnée de noir. Le rouge visible sur les coussins et les chaussures d’Henry est probablement réalisé avec du vermillon, un pigment qui apparaît orange en fausse couleur. Une laque de garance plus froide est présente dans sa tunique rouge, qui présente une réponse orange plus profonde. Le bleu à l’arrière-plan est probablement une couche d’azurite. Le grand rideau à l’arrière-plan semble être fait de vert-de-gris. Les pieds et les accoudoirs des bancs sont exécutés à l’ocre jaune. Le tapis au premier plan contient de la malachite à laquelle on a ajouté du jaune. Les tons de la peau sont réalisés avec une couche rose de vermillon mélangé à du blanc.

Réflectographie infrarouge fausse couleur / ©RES

Raymond Quinsac Monvoisin, Rosamund Clifford et le roi Henri II d’Angleterre, 1827, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts d’Orléans.

Ce portrait représente le père de l’artiste posant devant un portrait officiel de Zhu De, un révolutionnaire précoce considéré comme le fondateur de l’Armée rouge de Chine.

Avant sa conservation, l’œuvre a été examinée afin de recueillir le plus d’informations possible sur son histoire physique. Certains éléments techniques ont suscité un fort intérêt, car ils ne semblaient pas liés à la composition visible.

Il a donc été décidé d’utiliser la réflectographie infrarouge pour voir au-delà des couches visibles de la peinture. À travers l’utilisation du spectre infrarouge, conservateurs et scientifiques sont en mesure d’analyser une œuvre en grande profondeur et d’étudier des caractéristiques telles que le dessin sous-jacent ou le type de pigments utilisés.

Réflectographie infrarouge / ©RES

Notre caméra Osiris a permis de prendre des images infrarouges de la peinture, appelées également réflectogrammes, qui ont révélé la présence d’une ancienne composition sous celle actuellement visible. Le portrait d’une femme est clairement discernable et avait presque entièrement été exécuté avant que l’artiste ne décide de modifier le sujet de son œuvre.

La réutilisation de toiles est une pratique très courante chez les artistes, qu’il s’agisse des leurs ou de celles des autres. Le fait d’être conscient d’un tel changement de composition permet aux conservateurs d’approfondir la compréhension des pratiques techniques d’un peintre ou d’un groupe d’artistes. Il s’agit également d’un outil crucial pour la formulation d’un traitement de conservation. La présence de nombreuses couches de peinture, dont l’épaisseur et la nature varient, comme dans cette œuvre, aura une incidence sur les décisions prises et les matériaux choisis pour effectuer les interventions.

Réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

Détail en réflectographie infrarouge / ©RES

Liu Wei, Revolutionary family series, 1991, technique mixte sur toile, collection particulière.

L’étude de cette nature morte avait pour but d’identifier les matériaux en présence ainsi que leur mise en œuvre afin de les contextualiser et de les comparer à la technique de Cézanne.

Le pigment blanc a été analysé dans un premier temps pour exclure la présence de blanc de Titane, qui aurait été contradictoire avec l’époque supposée de l’œuvre. Ensuite, l’imagerie scientifique en haute définition a été réalisée sur la face et le revers du tableau : lumière directe, rasante, ultraviolette, réflectographie infrarouge, microscope Dinolite et radiographie.

Cette nature morte montre une table ou reposent des pommes, un couteau, une miche de pain, une carafe, une bouteille de vin et un pot contenant des fleurs. Au second plan on devine deux chaises en bois.

Lumière directe / ©RES

La face visible est peinte directement sur la toile sans préparation, chose qui n’est pas habituelle dans la pratique de Cézanne. En effet, les œuvres autographes étudiées en parallèle sont toutes préparées.

Détail de la face visible / ©RES

Une étiquette de bagage de la Gare d’Orsay a été retrouvée collée sur le chant interne de la traverse du châssis. La gare ayant été en activité de 1900 à 1939, il est donc probable que le châssis ait été conçu au cours de cette période ou antérieurement à ces dates.

Étiquette de bagage / ©RES

La réflectographie infrarouge donne peu d’information sur la technique d’exécution. Le dessin n’est donc pas clairement identifiable. S’il est présent, il est peu discernable en réflectographie, soit en raison du matériau utilisé (transparence à l’infrarouge), soit en raison de l’épaisseur des couches. On observe cependant quelques éléments de mise en place comme par exemple concernant le couteau au premier plan, la miche de pain ou encore le changement de composition au niveau de la table dans l’angle inférieur dextre.

Réflectographie infrarouge / ©RES

La peinture a été réalisée en deux temps distincts, avec notamment des ajustements postérieurs au premier plan. Bien que ces deux phases soient identifiables en lumière directe, l’exacte chronologie a été confirmée par l’imagerie ultraviolette qui a souligné la différence de fluorescence entre les couches colorées.

Ainsi, la fluorescence verdâtre permet d’identifier un vernis à base de résine naturelle, recouvrant la première composition. Les modifications quant à elles ne fluorescent pas ou peu et apparaissent violacées. Elles concernent pour la plupart des nuances de tons qui n’apportent pas de changements de la composition, sauf concernant la table, dont la forme et la position ont changées.

Lumière ultraviolette / ©RES

Détail en lumière directe et sous lumière ultraviolette / ©RES

La peinture est appliquée par de lourdes touches de couleurs déposées avec des brosses de différentes tailles pour la plupart d’entre elles, ou au couteau (comme sur la nappe et dans le fond). La matière est peu diluée et épaisse : les touches de peintures sont juxtaposées tout en se superposant par endroits.

Lumière rasante / ©RES

La couleur est par endroit appliquée de façon brut, avant d’être mélangée directement sur la toile ou sur le pinceau : cela donne un effet particulier à certains éléments, comme les pommes représentées avec une multitude de teintes.

Cette technique n’est pas coutumière de celle rencontrée chez Cézanne. Chez lui, la matière est habituellement moins empâtée, travaillée par touches juxtaposées et régulières qui construisent le volume par la couleur et par la synthèse chromatique en jouant parfois avec des réserves de toile.

Si certaines caractéristiques se retrouvent dans la peinture étudiée, la construction du modelé n’est pas créée ici par la juxtaposition de teintes mais par des couches superposées très épaisses qui viennent souligner le dessin. D’autres éléments sont rendus avec un grand manque de finesse, tels que la bouteille ou le pot de fleurs.

Chez Cézanne, on remarque également souvent des erreurs de perspective volontaires, les objets étant peints indépendamment les uns en fonction des autres, avec leurs propres règles de perspective. Il en résulte une tension qui rend la composition bancale, où les objets placés au second plan semblent parfois basculer au premier plan ou flotter dans l’espace. Dans la nature morte étudiée, la composition est assez statique, la perspective est respectée et les plans clairement identifiables.

La radiographie a révélé une composition sous-jacente difficilement visible sous lumière directe et infrarouge : en effet, un portrait d’homme apparaît à senestre de la composition. Situé au revers de la toile, ce portrait a été badigeonné afin de le dissimuler.

En démontant le châssis, d’autres éléments de la composition sont apparus clairement. Il s’agirait d’un homme et d’une femme au premier plan dans un intérieur. Le portrait d’homme n’a pas pu être identifié, car trop peu d’éléments le permettent.

Radiographie / ©RES

Dos de la toile en lumière directe / ©RES

Réflectographie infrarouge du dos de la toile / ©RES

Lumière ultraviolette du dos de la toile / ©RES

Contrairement à la face, la toile du revers a été préparée ; la matière est appliquée de manière assez épaisse par de larges coups de brosses en modelant le fond et les vêtements dans le frais. La robe de la femme correspond aux couleurs utilisées pour la nappe sur la face visible. Il semblerait que le même peintre ait peint les deux faces du tableau.

Malgré le fait qu’on ne puisse rien affirmer au vu des informations matériels car aucun élément n’est discriminant, il est peu vraisemblable que l’œuvre soit de la main de P. Cézanne. En effet, en dépit de l’utilisation avérée du blanc de plomb, et de l’étiquette de la gare d’Orsay qui peuvent correspondre à l’époque de l’artiste, les éléments techniques coïncident peu avec la technique du maître.

Anonyme, Nature morte avec pain, pommes et fleurs, XIXe siècle, huile sur toile, collection particulière.

Le Triptyque de la Vierge en gloire fut commandé par Pierre II de Bourbon et son épouse Anne de Beaujeu entre 1500 et 1501 pour orner la chapelle de la Cathédrale de Moulins.

L’attribution du triptyque a été longuement discutée, mais nous pouvons aujourd’hui attribuer l’œuvre avec quasi-certitude à la main de Jean Hey.

Le panneau central présente la Vierge sur un trône entourée d’anges, tenant l’Enfant sur ses genoux. Dans la partie supérieure, deux anges portent une couronne d’étoiles au-dessus de la tête de la Vierge tandis que six autres, trois de chaque côté du trône, la regardent. Dans la partie inférieure, deux anges tiennent une inscription latine tirée de l’Apocalypse XII « Hec est illa deqva sacra canvnt evlogia sole amicta lvnam habens svb pedibz stelis mervit coronari dvodenis », que l’on peut traduire grossièrement par « Voici celle qui est louée dans les Saintes Écritures : enveloppée par le soleil, ayant la lune sous ses pieds, elle mérite d’être couronnée de douze étoiles ». La Vierge est vêtue d’un lourd manteau rouge, typique des Vierges flamandes, anticipant la Passion du Christ.

Réflectographie infrarouge / ©RES

Le volet de gauche représente Pierre II en compagnie de Saint Pierre. Ce dernier porte une cape ornée de broderies et une tiare de cabochons arrondis, de bijoux transparents et de palmettes. Pierre II est agenouillé au premier plan, il porte un manteau rouge et une tiare.

Lumière directe (gauche) et réflectographie infrarouge avec détails / ©RES

Sur le panneau de droite, nous voyons Anne de Beaujeu et sa fille Suzanne en prière, accompagnées de Sainte Anne. Les vêtements d’Anne et de Suzanne sont très riches, tandis que Sainte Anne arbore une tenue beaucoup plus sobre.

Lumière directe (gauche) et réflectographie infrarouge avec détails / ©RES

Détails en réflectographie infrarouge / ©RES

Le dessin sous-jacent du triptyque de Moulins, très riche et complexe, témoigne du processus créatif de Jean Hey.

De manière générale, on constate que le dessin varie en fonction de l’importance ou de la fonction de l’élément représenté. Sur le panneau de gauche, la différence de traitement est très nette entre Saint Pierre et Pierre II de Bourbon. Ce dernier est dessiné d’un trait assez fin et précis au fusain ou à la pointe sèche, animé par un souci de ressemblance fidèle avec le duc. Les hachures sont subtiles et suggèrent le modelage. Les traits de Saint Pierre, en revanche, sont plus schématiques ; le dessin est réalisé au pinceau/crayon avec peu d’indications de volumes, l’artiste n’étant pas tenu ici au souci de la ressemblance.

Ceci est également valable pour les figures schématiques des anges et de la Vierge dans le panneau central. Leur conception témoigne de la réutilisation de motifs/modèles d’atelier, une pratique courante à l’époque. Bien que leurs positions diffèrent, les similitudes entre les anges des différents panneaux proviennent vraisemblablement d’une même idée. La comparaison avec d’autres peintures de Jean Hey semble confirmer cette hypothèse

Dans les deux panneaux, les visages des donateurs semblent avoir fait l’objet d’un dessin préparatoire très précis dans un souci de réalisme. Aucun repentir n’est observé par rapport à l’exécution peinte.

Le visage de Pierre II de Bourbon peut être comparé au tableau du Louvre, Pierre II de Bourbon, présenté par St Pierre, un portrait très similaire à de multiples égards : positionnement, expression et coupe de cheveux.

Dans le panneau de droite, des repentirs sont visibles dans les bustes et les bras d’Anne et de Suzanne. Pour cette dernière, l’artiste a changé plusieurs fois leur position. Il y a également un important repentir dans le drapé de Sainte Anne.

L’imagerie infrarouge montre la place prépondérante du dessin sous-jacent dans l’exécution finale. Le dessin transparaît volontairement sous les couches colorées, notamment sur le panneau central, modelant les ombres dans la phase peinte. Les sourcils de l’Enfant dans le panneau central ainsi que le visage de l’ange à gauche de la Vierge en sont un exemple frappant.

Les images en fausse couleur suggèrent l’utilisation des suivants pigments : blanc de plomb, vermillon, acétate ou résinate cuivrique. L’observation microscopique révèle que le manteau de Sainte Anne et celui de la Vierge ont été peints avec du lapis-lazuli, un pigment très coûteux qui souligne l’importance de cette commande.

Réflectographie infrarouge fausse couleur avec pigments / ©RES

Jean Hey, Triptyque de la Vierge en Gloire, 1500-1501, huile sur bois, Cathédrale de Moulins.

Ce tableau a été réalisé en 1834, suite à une commande d’État à la demande de Monseigneur de Vichy. De grandes dimensions (4m x 3,40m), Le Martyre de Saint Symphorien est le résultat d’un long travail préparatoire dont on conserve plus de deux cents dessins préliminaires. L’iconographie a été dictée par Monseigneur de Vichy et représente un Saint local : Symphorien d’Autun, condamné à mort autour de 179 pour s’être moqué d’une procession païenne, décapité devant sa mère hors des murs de la ville.

La réflectographie infrarouge nous permet d’étudier le dessin préparatoire réalisé par l’artiste avec une technique sèche. Malgré l’absence de grille de report, il semble probable, étant donné les dimensions de l’œuvre, la complexité de la composition et le nombre d’esquisses préparatoires, qu’Ingres ait utilisé une technique de transfert, comme un papier calque.

Réflectographie infrarouge avec relevés / ©RES

Si le contour général est assez précis, de nombreux pentimenti sont visibles, notamment des changements dans la position des mains, des pieds, des bras et même des visages de certains personnages. Il est intéressant de noter que l’artiste a également noté des indications de couleur, comme le mot « jaune » sur le voile de la mère.

L’artiste a également utilisé des outils de traçage tels qu’un compas ou une règle pour l’architecture, les lances des soldats et l’auréole du saint.

La réflectographie met également en évidence la construction du tableau. On remarque qu’Ingres peint toute la structure avant de peindre la mise en place finale. Par exemple, concernant les vêtements de Symphorien, la robe est peinte entièrement avant d’être recouverte par le drapé de la tunique. De même, l’architecture des remparts est peinte avant la tour.

L’imagerie infrarouge en fausse couleur nous apporte des informations supplémentaires : chaque pigment est représenté par une coloration particulière qui dépend de l’interaction avec le rayonnement infrarouge, affinant ainsi notre connaissance de la technique du peintre. On constate que le ciel, ainsi que la tunique du soldat tenant le signum, sont composés d’une base d’azurite avec des reflets de lapis-lazuli. Les rouges (apparaissant jaunes en fausse couleur) sont réalisés avec du vermillon. Le manteau vert du soldat portant le fascio est un pigment à base de cuivre (bleu en fausse couleur) ; les autres verts apparaissent roses, c’est-à-dire un mélange de bleu (lapis-lazuli ?) avec un jaune (plomb et étain ?). Pour le reste de la composition, la palette est réduite aux terres, aux ocres, au blanc de plomb et au noir de carbone.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, The Martyrdom of Saint Symphorien, 1834, huile sur toile, Cathédrale Saint-Lazare d’Autun.

Caravage, dont la vie de transgression l’emporte souvent sur l’aspect artistique de son existence, est considéré par beaucoup comme l’artiste qui a capté de la manière la plus subtile la modernité de son époque. Personnage mystérieux, encore mal connu faute d’éléments directs, mort sans héritier, nous n’avons que très peu d’écrits de ses contemporains, pas toujours bienveillants. Caravage transmet avec force les contradictions d’un homme moderne aux multiples facettes, désireux de faire coexister son âme populaire avec son épanouissement social à travers ses fréquentations de mécènes prestigieux, tels que le cardinal Del Monte, le marquis Giustiniani et les princes Colonna.

Ces éléments se heurtent souvent aux cercles de l’orthodoxie cléricale, qui trouve irrévérencieux son choix de connotations populaires pour dépeindre des sujets religieux.

Cherchant à obtenir le pardon pour le meurtre de Tomassoni et, par conséquent, échapper à la peine capitale et obtenir la fin de l’exil, il quitte Naples pour les États pontificaux, convaincu par ses intercesseurs qu’il peut obtenir l’indulgence. Ce qui se passe ensuite fait l’objet de nombreuses conjectures ; il meurt en 1610 à Porto Ercole, seul et misérable, enterré à la hâte dans une fosse commune. Aimé et célébré de son vivant, il est rapidement oublié, pour être redécouvert au vingtième siècle.

Défini par Roberto Longhi comme « un peintre de la réalité », son œuvre se caractérise par une observation directe de la nature. Par les nombreuses contradictions de sa modernité, il est le premier interprète de ce qui deviendra la peinture moderne.

À la mort de Caravage, l’évêque de Caserte écrit au cardinal Scipione Borghese, collectionneur et protecteur de Caravage, pour l’informer de la disparition de l’artiste. Il mentionne trois tableaux, trouvés à l’intérieur du bateau sur lequel il voyageait : « Doi S. Giovanni e la Maddalena » (Deux S. Jean et la Madeleine).

Si de nombreuses copies de la Madeleine en Extase sont connues à ce jour, cette version, authentifiée en 2014 par Mina Gregori, est considérée comme le véritable original ; le tableau qu’il avait avec lui lors de son dernier voyage à Porto Ercole. Au dos de la toile, une note dont l’écriture date du XVIIe siècle a été retrouvée : « Madalena reversa di Caravaggio a Chiaia ivi da servare pel beneficio del Cardinale Borghese di Roma » (Madeleine sur le dos par Caravage à Chiaia pour servir au profit du cardinal Borghèse de Rome).

Marie-Madeleine est une présence répétitive dans l’œuvre du Caravage, dont la vie tumultueuse est marquée par des tentatives désespérées d’obtenir l’absolution pour ses crimes.

Madeleine apparaît sur un fond neutre, vêtue d’une tunique blanche et d’une cape rouge. Figure de repentance, Marie-Madeleine prie, les yeux éblouis par l’apparition lumineuse d’une croix portant une couronne d’épines, saisie dans un moment d’extase spirituelle et sensuelle. Ses cheveux dorés, dont la lourde masse apparaît au sommet de la tête, se répandent sur ses épaules et sa poitrine. Livides, les tons de la peau présentent d’admirables variations de couleur et de lumière, tandis que les ombres dominent par leur intensité.

Le modelage des dents et les larmes qui coulent sur la joue de Madeleine sont caractéristiques du Caravage, tout comme l’oreille, indistinctement soulignée sous une lumière soigneusement calculée. Les longs plis de la chemise sont réalisés d’un seul coup de pinceau large, vigoureux et libre ; à l’arrière-plan, on devine dans l’obscurité l’entrée d’une grotte. Un crâne soutient le bras de Madeleine, signifiant l’abandon d’une vie de péché.

La mise en commun de toutes les données issues des observations de l’imagerie infrarouge, acquise avec notre caméra Apollo, et de l’imagerie ultraviolette, nous communique des informations supplémentaires et semble confirmer davantage l’attribution : le corps à demi couché de la Madeleine n’est pas, comme il semble, enveloppé dans une masse sombre, mais repose sur une sorte de rocher. Elle est située à l’intérieur d’une grotte, dont l’ouverture est enrichie de feuilles et de végétation, se détachant clairement dans le coin supérieur gauche. Peut-être pas tout à fait convaincu de ce qu’il faisait, l’artiste a utilisé un coup de pinceau léger, décidant ensuite de cacher ces éléments sous une couche sombre. Maurizio Calvesi a interprété le fond noir comme l’obscurité, « symbole du mal et du péché », tandis que la lumière qui inonde la figure féminine symbolise la rédemption.

Réflectographie infrarouge / ©RES

Certaines parties, comme les cheveux, sont laissées en réserve et ne sont presque pas peintes, seulement caractérisées par de légers reflets. On note une absence totale de dessin préparatoire, la couleur étant directement appliquée sur la toile. Des sources affirment que le Caravage ne dessinait pas mais appliquait directement la couleur sur la toile : les fréquentes modifications apportées par le Caravage sur d’autres de ses œuvres pendant la phase peinte sont bien documentées par des analyses aux rayons X et IR et semblent confirmer ce fait.

Détail en réflectographie infrarouge / ©RES

La réflectographie infrarouge met cependant en évidence la présence de lignes sombres, préalables à la peinture, qui définissent les contours de certains éléments de la composition. Ces lignes, assez larges et compatibles avec un pinceau imbibé d’un pigment foncé, délimitent les doigts de la main droite, la partie inférieure de la main gauche et le poignet, les principaux plis de la cape rouge, l’épaule droite et la chemise blanche sur le coude droit. Les irrégularités de la surface qui pourraient suggérer l’utilisation d’incisions, perceptibles surtout au niveau de la chemise blanche, correspondent en fait aux traces des poils du pinceau.

La forme de la bouche semble avoir changé pendant la phase peinte, avec une réduction de la lèvre inférieure. Des changements sont également visibles au niveau du manteau rouge, autour du grand pli près du côté droit, où la radiographie montre une distribution de la radio-opacité qui ne correspond pas à la tendance au clair-obscur actuellement visible. La trace de la même radio-opacité du manteau rouge qui s’étend du côté droit, presque horizontalement, vers le bord gauche de la toile, est plus difficile à interpréter.

Radiographie / ©RES

Lumière ultraviolette / ©RES

Dans ce tableau, comme dans les autres du Caravage, il y a de l’art mais aussi de la vie ; il y a non seulement un réalisme formel et figuratif, mais surtout un « réalisme des sentiments », qui est la grande nouveauté du Caravage, surtout par rapport aux sentiments maniéristes, qui étaient prédéfinis. Il s’agit d’un réalisme sentimental et émotionnel profond car le peintre s’identifie au sentiment, à la situation psychologique et il y a cette capacité de représenter et de transmettre ces sentiments dans la peinture, nous affectant fortement et nous permettant ainsi de recevoir ces émotions.

Michelangelo Merisi da Caravaggio, Marie Madeleine en Extase, circa 1606, huile sur toile, collection particulière.