Marie Madeleine en Extase

Michelangelo Merisi da Caravaggio

Caravage, dont la vie de transgression l’emporte souvent sur l’aspect artistique de son existence, est considéré par beaucoup comme l’artiste qui a capté de la manière la plus subtile la modernité de son époque. Personnage mystérieux, encore mal connu faute d’éléments directs, mort sans héritier, nous n’avons que très peu d’écrits de ses contemporains, pas toujours bienveillants. Caravage transmet avec force les contradictions d’un homme moderne aux multiples facettes, désireux de faire coexister son âme populaire avec son épanouissement social à travers ses fréquentations de mécènes prestigieux, tels que le cardinal Del Monte, le marquis Giustiniani et les princes Colonna.

Ces éléments se heurtent souvent aux cercles de l’orthodoxie cléricale, qui trouve irrévérencieux son choix de connotations populaires pour dépeindre des sujets religieux.

Cherchant à obtenir le pardon pour le meurtre de Tomassoni et, par conséquent, échapper à la peine capitale et obtenir la fin de l’exil, il quitte Naples pour les États pontificaux, convaincu par ses intercesseurs qu’il peut obtenir l’indulgence. Ce qui se passe ensuite fait l’objet de nombreuses conjectures ; il meurt en 1610 à Porto Ercole, seul et misérable, enterré à la hâte dans une fosse commune. Aimé et célébré de son vivant, il est rapidement oublié, pour être redécouvert au vingtième siècle.

Défini par Roberto Longhi comme « un peintre de la réalité », son œuvre se caractérise par une observation directe de la nature. Par les nombreuses contradictions de sa modernité, il est le premier interprète de ce qui deviendra la peinture moderne.

À la mort de Caravage, l’évêque de Caserte écrit au cardinal Scipione Borghese, collectionneur et protecteur de Caravage, pour l’informer de la disparition de l’artiste. Il mentionne trois tableaux, trouvés à l’intérieur du bateau sur lequel il voyageait : « Doi S. Giovanni e la Maddalena » (Deux S. Jean et la Madeleine).

Si de nombreuses copies de la Madeleine en Extase sont connues à ce jour, cette version, authentifiée en 2014 par Mina Gregori, est considérée comme le véritable original ; le tableau qu’il avait avec lui lors de son dernier voyage à Porto Ercole. Au dos de la toile, une note dont l’écriture date du XVIIe siècle a été retrouvée : « Madalena reversa di Caravaggio a Chiaia ivi da servare pel beneficio del Cardinale Borghese di Roma » (Madeleine sur le dos par Caravage à Chiaia pour servir au profit du cardinal Borghèse de Rome).

Marie-Madeleine est une présence répétitive dans l’œuvre du Caravage, dont la vie tumultueuse est marquée par des tentatives désespérées d’obtenir l’absolution pour ses crimes.

Madeleine apparaît sur un fond neutre, vêtue d’une tunique blanche et d’une cape rouge. Figure de repentance, Marie-Madeleine prie, les yeux éblouis par l’apparition lumineuse d’une croix portant une couronne d’épines, saisie dans un moment d’extase spirituelle et sensuelle. Ses cheveux dorés, dont la lourde masse apparaît au sommet de la tête, se répandent sur ses épaules et sa poitrine. Livides, les tons de la peau présentent d’admirables variations de couleur et de lumière, tandis que les ombres dominent par leur intensité.

Le modelage des dents et les larmes qui coulent sur la joue de Madeleine sont caractéristiques du Caravage, tout comme l’oreille, indistinctement soulignée sous une lumière soigneusement calculée. Les longs plis de la chemise sont réalisés d’un seul coup de pinceau large, vigoureux et libre ; à l’arrière-plan, on devine dans l’obscurité l’entrée d’une grotte. Un crâne soutient le bras de Madeleine, signifiant l’abandon d’une vie de péché.

La mise en commun de toutes les données issues des observations de l’imagerie infrarouge, acquise avec notre caméra Apollo, et de l’imagerie ultraviolette, nous communique des informations supplémentaires et semble confirmer davantage l’attribution : le corps à demi couché de la Madeleine n’est pas, comme il semble, enveloppé dans une masse sombre, mais repose sur une sorte de rocher. Elle est située à l’intérieur d’une grotte, dont l’ouverture est enrichie de feuilles et de végétation, se détachant clairement dans le coin supérieur gauche. Peut-être pas tout à fait convaincu de ce qu’il faisait, l’artiste a utilisé un coup de pinceau léger, décidant ensuite de cacher ces éléments sous une couche sombre. Maurizio Calvesi a interprété le fond noir comme l’obscurité, « symbole du mal et du péché », tandis que la lumière qui inonde la figure féminine symbolise la rédemption.

Réflectographie infrarouge / ©RES

Certaines parties, comme les cheveux, sont laissées en réserve et ne sont presque pas peintes, seulement caractérisées par de légers reflets. On note une absence totale de dessin préparatoire, la couleur étant directement appliquée sur la toile. Des sources affirment que le Caravage ne dessinait pas mais appliquait directement la couleur sur la toile : les fréquentes modifications apportées par le Caravage sur d’autres de ses œuvres pendant la phase peinte sont bien documentées par des analyses aux rayons X et IR et semblent confirmer ce fait.

Détail en réflectographie infrarouge / ©RES

La réflectographie infrarouge met cependant en évidence la présence de lignes sombres, préalables à la peinture, qui définissent les contours de certains éléments de la composition. Ces lignes, assez larges et compatibles avec un pinceau imbibé d’un pigment foncé, délimitent les doigts de la main droite, la partie inférieure de la main gauche et le poignet, les principaux plis de la cape rouge, l’épaule droite et la chemise blanche sur le coude droit. Les irrégularités de la surface qui pourraient suggérer l’utilisation d’incisions, perceptibles surtout au niveau de la chemise blanche, correspondent en fait aux traces des poils du pinceau.

La forme de la bouche semble avoir changé pendant la phase peinte, avec une réduction de la lèvre inférieure. Des changements sont également visibles au niveau du manteau rouge, autour du grand pli près du côté droit, où la radiographie montre une distribution de la radio-opacité qui ne correspond pas à la tendance au clair-obscur actuellement visible. La trace de la même radio-opacité du manteau rouge qui s’étend du côté droit, presque horizontalement, vers le bord gauche de la toile, est plus difficile à interpréter.

Radiographie / ©RES

Lumière ultraviolette / ©RES

Dans ce tableau, comme dans les autres du Caravage, il y a de l’art mais aussi de la vie ; il y a non seulement un réalisme formel et figuratif, mais surtout un « réalisme des sentiments », qui est la grande nouveauté du Caravage, surtout par rapport aux sentiments maniéristes, qui étaient prédéfinis. Il s’agit d’un réalisme sentimental et émotionnel profond car le peintre s’identifie au sentiment, à la situation psychologique et il y a cette capacité de représenter et de transmettre ces sentiments dans la peinture, nous affectant fortement et nous permettant ainsi de recevoir ces émotions.

Michelangelo Merisi da Caravaggio, Marie Madeleine en Extase, circa 1606, huile sur toile, collection particulière.